Horizontalité
Le fait est que nous ne croyons pas à l’efficacité de l’organisation pyramidale, pas quand il s’agit de gérer une structure, d’organiser un festival, de construire une saison de recherche, et encore moins quand il est question de créer un spectacle ou un film. Dans une équipe qui crée, monte, joue, tourne un spectacle nous pensons qu’il faut chercher, reconnaître et valoriser la collaboration. Et pour travailler en collaboration, c'est-à-dire entre pairs, entre personnes exerçant des métiers différents et complémentaires qui cheminent ensemble vers une œuvre commune, il faut tout d’abord que chacune se considère responsable de la part qui, dans la collaboration, lui revient. Cela implique que nous, actrices, fassions des choix de façon autonome. Que nous sachions faire des propositions en plus de répondre à des commandes. Et pour que ces propositions soient pertinentes, nous ne pouvons pas nous occuper uniquement de nos rôles, nous devons considérer l’ensemble, le groupe, la partition de l'œuvre toute entière. Nous devons la prendre en charge, la considérer nôtre. L’autonomie et l’horizontalité ne s'obtiennent pas en manifestant, ce ne sont pas des droits. C’est du travail que nous choisissons librement de faire. Beaucoup plus de travail que celui qu’on nous demande. Mais c’est aussi plus passionnant, plus efficace, plus, finalement, au service de l’évolution individuelle de chacune que ne l’est la solution pyramidale.
Féminisme
La tradition linguistique dominante, qui veut que nous, femmes, nous sentions concernées lorsqu'on nous parle au masculin, est en train d’être remise en cause, et nous applaudissons des deux mains. Dans un métier où la population féminine est largement majoritaire, nous faisons le choix de nous adresser majoritairement au féminin lorsque nous sommes en groupe mixte, et peu importe qu’encore demain, et même à nos yeux, “l’art de l’actrice” puisse sonner moins noble, moins sérieux, moins légitime que “l’art de l’acteur”. En attendant que le temps fasse le tri des différentes propositions, en attendant un langage inclusif qui n’exclue pas plus de la moitié de l’espèce humaine, nous faisons confiance à la capacité de celles qui ne sont pas femmes à se projeter dans un rôle qui n’est pas complètement le leur, comme nous l’avons fait et le faisons tous les jours.
À la faa. nous sommes une équipe de femmes. Ce n’était pas un choix mais il faut croire que faire recherche plutôt que jouer, avant de jouer, faire recherche dans un endroit fort isolé et pas toujours amical, faire recherche alors que personne ne nous le demande, que cela n’ajoute pas au prestige d’un curriculum vitae, il faut croire que faire recherche en pionnières est un désir de femmes, de femmes tenaces, opiniâtres et un brin révolutionnaires.
Low-tech
Quand nous avons décidé d’établir le siège de la faa. à Bataville, nous avons fait un choix éthique, voire politique. Les théâtres institutionnels sont des lieux très confortables pour travailler. Trop confortables même. Car le confort se paie toujours, d’une manière ou d’une autre, comme la crise climatique et biologique qui se précipite sur nous le prouve. Ces lieux “protègent” les artistes de tout ce qui n’est pas le travail scénique en confiant à d’autres les tâches “annexes” : finances, logistique, administration, relations avec le public, montage et démontages des spectacles… avec pour résultat une sorte d’infantilisation des artistes en question et une perte de savoirs et de savoirs-faire. Les conditions dans lesquelles un spectacle se crée sont indissociablement intriquées au spectacle lui-même, et le fait de ne plus maîtriser, ni même connaître la réalité de ces conditions a des conséquences qui nous entraînent loin de l’autonomie. Le confort matériel des grands plateaux et des importantes dotations techniques est à double tranchant. Ces plateaux sont difficiles à utiliser si l’on fait un théâtre centré sur le jeu d’actrice, car sans décors importants, sans riches lumières, ces plateaux sont écrasants.
Sans chercher l’inconfort, nous avons, à la faa., limité le confort aux conditions nécessaires au travail qui nous intéresse, celui des actrices. Nos espaces de travail sont très pauvres en technique, ce qui nous oblige à prendre une position active : plutôt que de travailler dans des lieux censés être parfaitement adaptés à nos pratiques, c’est à nous de nous adapter à leur réalité. C’est un inconfort qui favorise la créativité, et c’est un constat qui réunit les artistes qui ont fréquenté le lieu.